Plus des deux tiers de Gaza sont désormais soit sous le coup d’ordres d’expulsio immédiate, soit dans une zone de confinement. N’ayant nulle part ailleurs où se réfugier ou se mettre à l’abri, certains Palestiniens refusent de partir.
Ce matin, Israël a bombardé l’entrée nord d’un hôpital de campagne à Gaza, tuant un médecin et blessant neuf autres personnes, tous des patients ou du personnel médical. L’hôpital de campagne koweïtien est situé à Mawasi, une « zone humanitaire » où des centaines de milliers de Palestiniens ont cherché refuge dans des camps de tentes tentaculaires. Depuis qu’Israël a repris son assaut total sur Gaza le 18 mars, plus de 400 000 Palestiniens ont été déplacés de force, l’armée israélienne menant une campagne de bombardements incessante et émettant de multiples ordres de déplacement dans des zones de Gaza.
Pour l’article que vous allez lire, la journaliste Rasha Abu Jalal s’est rendue dans deux quartiers de la ville de Gaza pour parler avec des habitants qui défient les ordres de l’armée israélienne de partir.
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—Sharif Abdel Kouddous
GAZA — Le 11 avril, l’armée israélienne a donné l’ordre à des dizaines de milliers de Palestiniens de l’est de la ville de Gaza, y compris des quartiers de Shujaiya, Zeitoun et Tuffah, de se réinstaller dans des zones situées à l’ouest de la ville. Ces ordres sont la dernière salve d’une campagne militaire de la terre brûlée qu’Israël a relancée le 18 mars et qui a tué plus de 1600 Palestiniens, dont plus de 500 enfants.
Depuis le 18 mars, Israël a émis au moins vingt-quatre ordres de déplacement dans des villes et villages de Gaza, notamment dans les régions de Beit Hanoun, Beit Lahia, Gaza, Deir al-Balah, al-Nuseirat et Khan Younis.
Le 31 mars, Israël a émis un ordre pour la quasi-totalité de Rafah, le gouvernorat le plus au sud. Plus de 400 000 Palestiniens ont été nouvellement déplacés en moins d’un mois.
À l’heure actuelle, plus des deux tiers de Gaza sont soit soumis à des ordres de déplacement en cours, soit situés dans une zone de confinement, parfois appelée zone de mort.
Pourtant, dans certains quartiers soumis à des ordres de déplacement, certains habitants refusent de partir, choisissant de rester chez eux et d’affronter l’assaut plutôt que d’être à nouveau déplacés vers des zones qui manquent d’abris et qui continuent néanmoins d’être la cible de l’armée israélienne.
Ce matin-là, le 11 avril, Adel Murad, un enseignant de 43 ans, a fui Shujaiya avec neuf membres de sa famille vers le quartier ouest d’Al-Nasr pour échapper aux intenses bombardements aériens d’Israël. Mais ils ne sont pas restés longtemps ; le lendemain, la famille a décidé de défier les ordres israéliens et de retourner chez elle.
La famille de Murad a traversé la fumée et les décombres jusqu’à ce qu’elle atteigne sa maison à Shujaiya, et a immédiatement commencé à déblayer les débris.
« J’en ai assez d’être déplacé », a déclaré Murad à Drop Site depuis son domicile le 12 avril. « Il n’y a pas d’abri, pas de logement temporaire. Tous les centres d’évacuation sont pleins, et la seule alternative est de dormir dans la rue sans eau ni même de toilettes. Être déplacé, c’est de l’humiliation. »
Il se pencha sur les décombres. Ses yeux fatigués cherchaient tout ce qui pouvait être récupéré de sa maison détruite. Il ramassa une planche de bois, la dépoussiéra et regarda les restes de sa maison, estimant si le bois pouvait servir à construire un nouveau mur.
C’était la troisième fois que Murad reconstruisait sa maison ; elle avait été partiellement détruite pour la première fois en février 2024.
« Je ne quitterai pas ma maison, même si je dois vivre au milieu des décombres », a déclaré Murad. « C’est ma terre, et je ne serai plus déplacé. »
Murad construisait un abri de fortune sur les ruines de sa maison. À l’aide de bâches en plastique et de bois, il érigeait des murs rudimentaires en laissant un côté ouvert pour laisser entrer l’air et la lumière.
À l’intérieur, il posait de vieilles couvertures sur le sol à côté d’un petit poêle à bois. Il n’y avait ni électricité ni eau courante. Dans un coin, il creusa un trou profond, le recouvrit d’une tôle et plaça une bassine en plastique au-dessus pour s’en servir de toilettes.
« Le président Donald Trump veut que nous émigrions, que nous quittions nos maisons, que nous devenions des réfugiés dans le désert du Sinaï ou ailleurs, mais nous sommes ici », a-t-il déclaré, tout en enfonçant un clou dans une planche de bois pour réparer une fissure dans le mur de ciment en ruine. « Nous reconstruisons ce qu’ils détruisent encore et encore, et nous vivrons ici malgré eux. »
L’assaut aérien d’Israël a été implacable. Selon le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, entre le 18 mars et le 9 avril, il y a eu quelque 224 frappes israéliennes sur des bâtiments résidentiels et des tentes pour les personnes déplacées.
Dans trente-six de ces frappes, les seules victimes enregistrées étaient des femmes et des enfants.
« L’augmentation du nombre d’« ordres d’évacuation » émis par les forces israéliennes, qui sont en réalité des ordres de déplacement, a entraîné le transfert forcé des Palestiniens de Gaza dans des espaces de plus en plus restreints où ils ont peu ou pas accès aux services de base, notamment l’eau, la nourriture et un abri, et où ils continuent d’être la cible d’attaques », a déclaré la semaine dernière Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.
Les troupes israéliennes ont achevé la construction d’un nouveau « corridor de sécurité », coupant Rafah du reste de Gaza, appelé Morag, du nom d’une colonie juive qui existait autrefois entre Rafah et Khan Younis. Les forces israéliennes ont également repris le contrôle du corridor de Netzarim qui sépare le tiers nord de Gaza du reste de l’enclave.

12 avril 2025 – Mahmoud Sarhan, 48 ans, travaille avec les habitants pour essayer de creuser un puits à Zeitoun, dans la ville de Gaza – Photo : Rasha Abu Jalal
Mahmoud Sarhan, 48 ans, et ses six enfants font partie des dizaines de familles du quartier de Zeitoun, à l’est de la ville de Gaza, qui ont refusé de se conformer aux ordres de déplacement de l’armée israélienne du 11 avril.
« Nous n’avons pas d’autre choix », a déclaré M. Sarhan à Drop Site, ajoutant que les zones de l’ouest de Gaza où ils ont reçu l’ordre de se déplacer sont surpeuplées et manquent de services de base. « J’ai décidé avec mes voisins que nous ne prendrons plus la fuite. »
Sarhan parlait tout en aidant d’autres personnes à creuser un puits dans la rue pour tenter de trouver de l’eau pour les familles qui étaient restées. Au début du mois, les approvisionnements de la compagnie des eaux israélienne ont cessé de fonctionner pendant l’offensive, ont déclaré les autorités municipales de Gaza dans un communiqué, coupant de fait 50 % de l’approvisionnement total en eau au nord de l’enclave.
L’UNICEF estime que l’accès à l’eau potable pour un million de personnes, dont 400 000 enfants, est passé de seize litres par personne et par jour pendant le cessez-le-feu à seulement six litres.
« Nous creusons à mains nues et avec des outils rudimentaires, mais nous travaillons ensemble parce que nous savons que personne ne viendra nous sauver », a déclaré Sarhan.
Israël empêche toute aide d’entrer dans Gaza depuis le 2 mars, la plus longue période de confinement de la guerre de 18 mois. En plus de la catastrophe humanitaire causée par le blocus de toute nourriture, eau potable, médicaments et autres aides ou fournitures essentielles, les efforts de reconstruction sont devenus presque impossibles.
Les prix des matériaux de construction de base ont explosé au cours des six dernières semaines en raison du blocus et de la reprise de la guerre. Mohammed Abu Jayyab, rédacteur en chef du journal Al-Eqtesadia (L’Économie) à Gaza, a déclaré à Drop Site qu’un sac de ciment de 30 kilogrammes coûte désormais 900 shekels (250 dollars), contre 20 shekels (5 dollars) avant la guerre.
Le prix d’un seul moellon de ciment est passé de 1 shekel (0,30 $) à 20 shekels (5 $), rendant la reconstruction totalement inabordable.
Les habitants ont recours à des bâches en plastique et au bois pour reconstruire. « Ils n’ont d’autre choix que de rafistoler leurs maisons partiellement détruites et d’y vivre, malgré la reprise des combats et le risque d’effondrement, en raison du manque d’abris et de l’absence de tentes depuis le bouclage de tous les accès », a déclaré Abu Jayyab.
Pour Sarhan, la décision de rester dans son quartier natal de Zeitoun était simple. « Trump et Netanyahu veulent que nous quittions notre patrie, que nous abandonnions, que nous émigrions. Mais nous restons. Même si rester signifie creuser de nos mains juste pour trouver de l’eau », a-t-il ajouté.
« La reprise de la guerre nous place devant un avenir des plus incertains. Mais nous ne pouvons pas arrêter de vivre simplement parce que nous craignons ce qui pourrait arriver demain. »
Auteur : Rasha Abu Jalal
* Rasha Abu Jalal est auteure et journaliste à Gaza. Elle couvre les événements politiques et les questions humanitaires et elle a produit des reportages sur des questions sociales pour le journal local Istiklal pendant six ans. Rasha a également été membre du jury de l'événement annuel sur la liberté de la presse dans la bande de Gaza, Press House, en 2016. Son compte Twitter.
15 avril 2025 – Drop Site News – Traduction : Chronique de Palestine
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